La campagne en cours pour les élections régionales a un mérite : montrer la détermination de nombre de nos Régions à jouer un rôle de premier plan dans le déploiement de filières industrielles d’avenir. Cela nous incite à aller plus loin dans la décentralisation, et à remettre à plat les méthodes sur lesquelles repose notre politique industrielle. Pour qu’enfin l’économie française tourne à la hauteur de son potentiel !
Notre pays dispose de nombreux facteurs de succès : une main-d’œuvre parmi les mieux formées du monde, un tissu entrepreneurial dynamique, des hauts fonctionnaires de très haut niveau, un secteur du capital-investissement très actif et un État qui n’hésite pas à dégainer les grands moyens pour soutenir le tissu économique en période de crise. Pourtant, les performances de notre industrie – manufacturière, mais aussi technologique et logicielle – sont décevantes. Et si l’État conserve l’ambition légitime de mener une politique industrielle et économique, la réalité c’est qu’il s’y prend très mal. Et depuis trop longtemps.
Une troisième voie est possible, celle de la construction et de l’animation d’écosystèmes intelligents et agiles
Entre une économie planifiée et centralisée, et la confiance aveugle en la prétendue sagesse du marché, une troisième voie est possible, celle de la construction et de l’animation d’écosystèmes intelligents et agiles. Cette troisième voie, la France ne l’a jamais vraiment explorée. Par incapacité, le pouvoir étant par nature beaucoup trop centralisé pour cette approche agile. Et par tradition : on a, comme toujours, investi dans la réflexion, pas suffisamment dans le pilotage de l’action et dans l’organisation concrète de notre tissu industriel. Dit autrement, les pouvoirs publics français, malgré leur bonne volonté, ne savent toujours pas travailler efficacement avec les entrepreneurs et les décideurs qui portent l’innovation. Contrairement à d’autres…
Regardons un peu autour de nous !
A Taiwan, l’Etat ne se contente pas d’être visionnaire : il se veut également entrepreneur. La coordination étroite entre les autorités locales et les entreprises permet à celles-ci de rayonner, pas tant par la puissance de leur vision, mais par leur capacité à exécuter avec efficacité. A Singapour également, le pragmatisme est de mise, par l’orientation business très forte des différentes agences de l’Etat. Leur agilité et la coordination dont elles font preuve, entre elles et avec le tissu économique, devraient nous inspirer.
Mais il n’y a pas que l’Asie ! Aux États-Unis, la DARPA est également un modèle à étudier. Scrutant l’horizon de long terme mais ancrée dans les réalités du présent, instrument essentiel de la souveraineté technologique américaine, cette agence est à l’origine d’innovations qui ont été des atouts majeurs pour l’économie et l’industrie du pays, bien au-delà du domaine de la défense : le GPS, internet ou encore les drones. Sa méthode de travail est singulière : partant de besoins bien identifiés et très concrets, la DARPA s’y attaque avec un niveau d’ambition extrême, sur des cycles très courts, et en visant des résultats concrets : des prototypes, pas des analyses. Plus proche de nous, la décentralisation de l’économie est ce qui a permis à l’Allemagne de développer un tissu d’entreprises de taille intermédiaire qui nous manque cruellement. Cet exemple montre que la Région est la bonne échelle pour organiser l’innovation autour d’écosystèmes spécialisés et performants.
Revenons en France, et soyons concrets. Que faire ?
Adapter notre organisation, et adopter de nouvelles méthodes. En m’appuyant sur mon expérience d’entrepreneur, spécialiste de l’innovation, je propose la création d’un organe spécifique, selon les principes suivants :
- Ce travail doit partir des besoins avérés des acteurs économiques du terrain, des citoyens ou des entreprises. Les Régions seront des interlocuteurs privilégiés pour faire le pont entre ces besoins et la vision stratégique de long terme de l’Etat. Le fait qu’elles bénéficient d’à la fois plus de moyens et plus de latitude en termes d’innovations paraît, un an après la crise sanitaire, incontournable.
- Cette entité doit se concentrer sur une mission d’organisation des filières et de pilotage. Il s’agit d’organiser la coopération public-privé-financeurs, de structurer les écosystèmes propices à l’émergence de ces partenariats, de coordonner et de faciliter. C’est ce liant opérationnel qui manque cruellement aujourd’hui.
- Cette entité – c’est vital ! – doit adopter un état d’esprit entrepreneurial : orienté terrain et solutions, recherchant l’impact. Réunir le bon casting sera essentiel, et nécessitera d’aller chercher des compétences plus loin que les viviers traditionnels de l’État. On parle de startup nation ? Alors place aux entrepreneurs ! Coordonner, piloter, déployer une vision stratégique sur le terrain, c’est leur métier ; et ils ont quelque chose de différent à apporter que nos grands Corps dont la France est si fière.
- Bien entendu, cette structure devra comprendre comment fonctionne le tissu économique actuel, et avoir une grande proximité avec tout l’écosystème de l’innovation (technologique ou pas). Elle devra aussi comprendre le rôle des différentes institutions financières, des grandes banques aux fonds de capital-risque, et avoir la capacité à mobiliser tous ces acteurs, à organiser leur coopération et à diriger leurs efforts.
- Cette entité devra aussi accompagner l’État dans son rôle d’investisseur en capital-risque, en complément de la BPI qui joue davantage aujourd’hui le rôle d’une banque d’investissement.
- Enfin, la question de l’évaluation sera essentielle. Il faudra organiser des boucles de rétroaction courtes, pour pouvoir corriger le tir rapidement. C’est le principe des méthodes agiles qui ont fait leur preuve en entreprise.
Sur ces bases, la France pourra déployer une vraie politique industrielle partenariale, s’appuyant sur les co-financements qui sont la meilleure garantie du succès. Osons décentraliser davantage l’économie, passons à l’action ! Et dotons-nous des outils qui permettront de vraiment préparer l’avenir de notre industrie.