Cet article reprend quelques propositions issues de l’ouvrage “Inventer les villes durables” (Ed. Dunod, 2022), dans lequel nous revenons sur les horizons des villes durables et les conditions à réunir pour les construire de façon plus large et efficace.
Dans les incubateurs et les accélérateurs que nous opérons chez INSKIP, nous aidons les entrepreneurs à inclure les utilisateurs dans leur démarche d’innovation. L’objectif est de mettre en adéquation les solutions aux besoins du public, et de minimiser les risques d’échec des projets. Cette démarche centrée sur l’utilisateur est pertinente à plus forte raison encore lorsqu’il s’agit de transformer la ville. D’abord parce que la ville est l’affaire de tous et que l’action politique doit être menée de façon démocratique, en donnant à chacun l’occasion de s’exprimer, pour tendre vers un consensus large. Ensuite parce qu’une conduite du changement efficace requiert l’implication de toutes les parties prenantes dans les transformations, dès le début. C’est pourquoi les outils participatifs et pédagogiques occupent une place déterminante dans les processus de transformation de la ville durable.
Des actions de concertation multiples et éclatées, initiées par le haut ou le bas.
Comme le rappelle Sébastien Maire, président de l’association Ville Durable France dans un entretien réalisé pour notre ouvrage, « ce ne sont pas tant les « solutions » pour la ville durable qui sont la priorité, que les processus collectifs d’apprentissage et de compréhension de la situation réelle, et l’évolution en conséquence de la gouvernance des projets et de la gestion des territoires. »
Ces processus prennent plusieurs formes et associent élus, experts privés, architectes, universitaires, parfois des acteurs du monde économique et associatif. À Saint-Fons, l’agence de l’urbanisme et le Cerema coordonne les ateliers qui ont permis d’aboutir à 800 actions. Ailleurs comme en Seine Saint-Denis, l’association Rêve de Scènes Urbaines vise à proposer aux collectivités des boîtes à idées intégrées. Le modèle de l’IBA (Internationale Bauausstellung ou Exposition Internationale du Bâtiment), propose d’aller un peu plus loin, en rendant compte des travaux de conception à chaque étape auprés d’un large public, pour faire en sorte que la fabrique de la ville soit plus transparente. Le Ministère du logement a entamé un travail d’adaptation de ce modèle pour la création des futures Écocités. Son avantage est d’inclure un volet participatif, en complément du volet pédagogique et des ateliers.
On observe par ailleurs des initiatives participatives issues des citoyens eux-mêmes, qui s’expriment soit dans le cadre d’opérations ponctuelles et limitées (conférences sur la ville de demain, budgets participatifs) soit de façon plus spontanée (on songe au Cre-sol à Tours par exemple), mais finalement tout aussi limité, les autorisations faisant souvent défaut.
Difficile de concilier l’approche top-down des élus et experts, long-terme et massifiée versus l’approche bottom-up associant les citoyens, court-terme et localisée. Pourtant la ville ne peut se réinventer efficacement sans les deux et les faire coexister sur toute la durée d’un projet - du début à la fin. En jeu : la pertinence des solutions déployées et leur adoption.
Pour une transformation chorale à grande échelle
Il nous semble souhaitable de reconcilier ces deux approches pour faciliter la conduite du changement, dé-risquer et optimiser les projets, accorder en phase amont les différents protagonistes et maximiser les chances de succès une fois les ouvrages livrés. Pour ce faire, les villes gagneraient à travailler systématiquement sur 3 axes :
- La ville doit jouer son rôle de pédagogue, en travaillant à la sensibilisation des différents publics en amont des projets. Éduquer le citoyen de la ville durable est un préalable nécessaire au changement de la ville. Il serait logique que ces actions soient continues, disponibles sous différents formats pour garantir une meilleure accessibilité, et décorrélées des projets pour éviter des biais consistant à présenter certaines approches comme des solutions nécessaires.
- La ville peut ensuite faire émerger les projets de façon collaborative, en jouant avec l’aide des agences de l’urbanisme, du CEREMA ou du CAUE le rôle de facilitateur, pour fabriquer du consensus autour des projets en amont, et mieux les définir par la même occasion. Alternativement elle peut utiliser les initiatives citoyennes comme autant de « bêta-tests » à ciel ouvert, des tests qui – dans l’intervalle entre deux projets – permettent au second de maturer et gagner en pertinence. Enfin, les appels à projets innovants gagneraient à associer davantage les citoyens. Aujourd’hui, seuls 35% des appels à projets urbains innovants incluent une démarche de concertation ou de participation citoyenne. Cécile Dang, directrice générale de CityLinked souligne que seules quatre villes (Sceaux, Bagneux, Angers et Toulouse) ont mis en place un processus de concertation en amont ou en parallèle du concours
- Les promoteurs peuvent ensuite prendre le relais, en associant – via la maîtrise d’usage – les citoyens au projet, de la phase conception à la livraison en passant par les chantiers participatifs qui aident à l’appropriation des lieux.
Tels seraient les trois axes de ce que nous appelons la “transformation chorale”. Le chœur, dans la tragédie grecque, agit dans la pièce comme un personnage collectif, qui exprime les points de vue de la société. Il se fait l’écho de ses jugements et de ses émotions, alors même que l’intrigue se déroule sous ses yeux.
C’est en ce sens que nous entendons « chorale » : si la population ne peut avoir un rôle structurant dans le projet, elle doit néanmoins jouer ce rôle de spectateur actif, tout au long de son déroulement, en apportant ses commentaires et ses impressions pour qu’en retour le projet gagne en pertinence. La transformation chorale, c’est aussi - au sens musical du terme - la possibilité pour plusieurs voix de produire ensemble une harmonie, en se répondant les unes aux autres. Une telle transformation permet de donner une voix aux citoyens et de la faire résonner tout au long du projet, et l’associant à l’idéation, la conception, la mise en œuvre et l’entretien des aménagements de la ville durable. D’une certaine manière, il nous semble que la transformation démocratique de la ville durable est la première condition d’une transformation réussie, à la fois pour des raisons théoriques mais aussi méthodologiques.
Livre complet accessible ici : Inventer les villes durables : Idées et outils pour relever les défis d'aujourd'hui (Matthieu Chéreau & Maxime Guillaud)